Édito 2022 - Jean-Claude Barens

Édito 2022 - Jean-Claude Barens

Édito 2022 - Jean-Claude Barens

Retour à la normale ? Pas si simple …

Dans la stratosphère chantante et sa myriade de constellations, nous avons observé bon nombre d’étoiles filantes qui à peine identifiées étaient déjà mises sur orbite. Destins aléatoires dans le ciel nocturne où la loi de la gravitation est le plus souvent imposée par des gens affairés et avides de rendements immédiats. Celles et ceux que nous avons eu envie de réunir pour composer l’affiche de cette édition ont en commun d’avoir inscrit leur travail dans la durée, souvent loin de la lumière, en sachant parfaitement que la mécanique du succès n’a pas toujours à voir avec l’évidence du talent.

Vous retrouverez ici ce que nous défendons inlassablement : les espaces ouverts aux débuts de parcours, les scènes partagées, la programmation jeune public qui ne demande qu’à se déployer, les rencontres, les scènes ouvertes, les conférences, les échanges…et quelques surprises que la lecture de ce copieux menu vous révélera.
Mais l’inquiétude est pesante. Le soi-disant retour à la normale, est loin de l’être. La pandémie a fait des dégâts considérables à tous les étages : des fréquentations en berne, des équilibres économiques fragilisés voire précarisés, des compagnies qui ont baissé définitivement le rideau, des festivals rayés de la carte, des salles qui ont fermé, des artistes qui ont perdu leur statut d’intermittents et qui ont dû changer de métier, même chose pour bon nombre de techniciens. Alors oui, c’est véritablement un choix de société que d’avoir des artistes qui puissent vivre de leur art et exister en dehors d’un champ médiatique tout-puissant et d’une marchandisation culturelle étouffante. Une nation sans culture vivante est une nation qui n’a plus rien à dire au monde, et qui mourra inévitablement.

La machine néo-libérale ne fonctionne pas seulement avec des concepts, elle utilise une palette d’instruments pour infuser patiemment dans la tête des citoyens. Netflix prend plus de place que la réflexion pour un net fixe. Les chaines d’infos postillonnent leur doxa Bolloré compatible, leur tyrannie du chiffre, et leurs chapelets d’images terrifiantes. Certaines radios s’auto-congratulent, en découvrant leur audience bâtie au détriment de leur mission de service public.
Comment prendre alors le temps de cheminer tout en mesurant l’urgence, de trouver les espaces pour faire ouvrir les yeux, s’indigner et résister. N’en déplaise aux faiseurs de rois, sondeurs et autres proctologues de l’opinion, il existe bien une place pour un nouvel essor de la parole, pour que se déplient les mots jusqu’à ce qu’ils libèrent leur puissance de déflagration. Pour favoriser l’écriture au stylo habile, sucrer les phrases, débrider, délier, assembler. Pour donner de la place aux impénitents impertinents, aux troubadours libertaires, aux pierrots lunaires déjantés, aux amoureux qui se roulent dans les blés en verbe. Nous allons en avoir tellement besoin !

Nous espérons que vous trouverez à travers ce festival un souffle, une énergie, une vitalité, que nous voulons vous faire partager.
Je vais donc me retirer sereinement, et je sais que Julie Berthon apportera un regard nouveau et enthousiaste. J’en suis même certain !

Bon festival à toutes et à tous,
Jean-Claude Barens
Directeur artistique

(Crédit photo Chantal-Bouhanna).